Chapitres
Iris est assise sur un banc en bois, légèrement usé par le temps, au cœur d’un parc baigné d’une lumière douce. Le soleil filtre à travers les branches des arbres, projetant au sol des ombres mouvantes, comme un vitrail naturel. Devant elle, les notes de son cours sur l'histoire de l'art moderne sont éparpillées sur ses genoux, mais elle a du mal à se concentrer.
Cela fait quelques jours qu'elle n'a pas revu Mikhaïl. Depuis cette nuit au club, ses paroles et son regard la hantent. Elle s’était promis de le laisser derrière elle, de tourner la page, mais plus elle s’efforce d’oublier, plus son absence pèse lourdement. Une partie d’elle est lasse de chercher des réponses qu’il ne veut pas lui donner, mais une autre, plus profonde, espère encore le revoir, même fugacement. Elle soupire, glissant un doigt sur une page de son manuel, où une reproduction d’un tableau de Caravage occupe toute la moitié de la feuille. Le clair-obscur, pense-t-elle, résume si bien ce qu’elle ressent en pensant à lui : une lumière crue, fascinante, qui attire irrémédiablement le regard, mais toujours enveloppée de ténèbres inquiétantes et insaisissables.
Un vent léger souffle soudainement, soulevant les feuilles de ses notes. Quelques pages s’envolent et atterrissent sur le gravier devant elle. Agacée, elle se penche pour les ramasser, ses doigts frôlant le sol. Lorsqu'elle se redresse, une étrange sensation la traverse et elle tourne légèrement la tête. Une silhouette sombre, immobile, se tient à la lisière des arbres, presque cachée par les ombres.
Son souffle se bloque. Elle croit reconnaître cette présence, cette posture sombre et menaçante. Mikhaïl. Son cœur bat plus fort, mais elle reste figée, incapable de bouger ou de détourner les yeux. Pourtant, en un clin d’œil, la silhouette disparaît. Le parc semble vide à nouveau, animé uniquement par les rires d'enfants et le bruissement des feuilles au-dessus d’elle.
Un frisson court le long de son dos. Était-il réellement là, ou son esprit lui joue-t-il des tours ? Elle se mord la lèvre, troublée par cette incertitude. Elle resserre ses affaires contre elle, prenant une longue inspiration pour chasser le trouble. Elle doit se recentrer. Mikhaïl ne doit plus avoir autant de pouvoir sur elle, surtout s’il continue à se murer dans le silence.
Elle se force à se plonger dans ses notes. D’une voix basse, elle lit un passage tiré de son manuel : "Le clair-obscur, au-delà de son rôle esthétique, révèle les vérités profondes des personnages qu’il illumine." Les mots résonnent étrangement en elle. Mikhaïl, se dit-elle, est une énigme : une lumière magnétique, mais toujours mêlée d’ombres insaisissables. Peut-être que certaines vérités, comme celles qu’il cache, ne sont jamais destinées à être révélées. Il avait dressé des murs infranchissables, et elle doit se faire une raison. Mais alors qu’elle tente de s’en convaincre, une sensation étrange monte en elle. Elle a l’impression qu’il est encore là, quelque part, caché dans les ombres, à l’observer. Elle ne sait pas si cette idée la rassure ou l’effraie.
Le soleil descend lentement à l’horizon, étirant les ombres du parc en d’immenses silhouettes mouvantes. Les rires et les conversations des promeneurs s’effacent, étouffés par l’intensité de ses pensées. Iris range ses affaires, mais avant de se lever, elle jette un dernier coup d’œil aux arbres. Le doute persiste. Peut-être qu’il était vraiment là, peut-être qu’il reviendra. Mais une chose est certaine : elle refuse de rester dans l’attente. Finalement, elle décide de prendre les devants, de se battre pour obtenir les réponses qu’il garde enfermées dans ses silences, malgré la peur de l'inconnu.