Chapitres
Alice reste là, figée, les yeux rivés sur le carnet qu’elle vient de refermer, comme si le simple acte de le tenir encore forgeait un lien invisible entre elle et Mikhaïl. Cette fois, ce n’est plus la surprise ni l’étrangeté de sa découverte qui l’envahit, mais une certitude profonde. Une sensation que ce livre n’est pas seulement un ensemble de mots ou de souvenirs oubliés, mais un message silencieux, un appel qui lui est directement adressé.
Elle se redresse lentement, une main appuyée contre le bois poli de la table. Son regard erre un instant sur les rayonnages qui l’entourent. Elle reconnaît la bibliothèque familière, ce refuge qu’elle chérit tant, mais quelque chose a changé. Le calme apaisant qui régnait ici autrefois est remplacé par une tension, subtile mais indéniable, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle.
La nuit s’est installée dehors, et la lumière des lampes jette des reflets mouvants sur les vitres, créant l’illusion que des ombres dansent au-delà. Alice ne peut s’empêcher de sentir qu’elle est observée, non pas par une présence hostile, mais par l’histoire elle-même.
Elle repose doucement le carnet sur la table, mais ses doigts restent en contact avec sa couverture, de peur que l’objet ne disparaisse dès qu’elle le lâche. Elle se remémore les passages qu’elle a lus, ces fragments de vie empreints d’une douleur si humaine qu’ils résonnent en elle de manière troublante. Ce n’est plus seulement une histoire : c’est une confession.
Elle se surprend à murmurer, presque malgré elle :
"Pourquoi moi ?"
Cette question, elle se l’était déjà posée un peu plus tôt. Mais ce soir, elle ne cherche plus de réponse. Elle comprend que certaines énigmes ne se résolvent pas par l’interrogation, mais par l’expérience.
Elle détourne les yeux de la table et les laisse se poser sur la fenêtre, où la noirceur de la nuit semble s’étendre à l’infini. Le froid hivernal glisse à travers les interstices de la vieille bâtisse, et elle frissonne malgré elle. Pourtant, ce n’est pas la morsure de l’hiver qui la trouble. C’est ce qu’elle ressent au fond d’elle-même, cette intuition grandissante qu’un changement s’opère, lentement mais inexorablement.
Cette fois, elle décide de ne pas relire le carnet immédiatement. Elle sent que cela devra attendre. Le moment viendra, mais pas maintenant. Elle place délicatement le livre dans un sac en toile posé près de sa chaise, puis le serre fermement contre elle comme s’il s’agissait d’un talisman. Elle a besoin de réfléchir, d’organiser les morceaux du puzzle qui commencent à émerger.
Les cloches de l’église voisine sonnent soudainement, brisant le silence. Elles marquent l’heure tardive, mais leur résonance semble étrange, donnant l’impression de venir de plus loin que d’habitude, de quelque part au-delà du réel. Alice jette un dernier regard à la pièce avant de quitter la table.
En traversant le hall pour sortir, elle ressent une impression étrange, presque comme un souffle. Une sensation qu’elle n’arrive pas à expliquer. Ce n’est pas la peur, mais une conscience accrue, un sentiment d’être suivie, non pas par une personne, mais par un destin qui l’appelle.
Dehors, la nuit l’accueille dans un silence glacé. Les étoiles scintillent au-dessus de sa tête, et elle lève les yeux un instant, comme pour y chercher une réponse. Elle se promet de revenir, de reprendre sa lecture, mais pas ce soir. Pas encore.
Elle sent que ce qu’elle découvre dépasse les frontières d’une simple histoire, comme si les mots se mêlaient à son propre souffle, tissant une connexion mystérieuse entre son âme et celle de Mikhaïl.